Le rituel du retour à Souvenance

Norluck Dorange

Chercheur en anthropologie, cinéaste et communicateur social. Il est un adepte des cérémonies de Souvenance et vit actuellement à Orlando, Floride.

Pratique culturelle

Intérêt patrimonial

Souvenance par ses rituels est un haut lieu de mémoire où tout se joue dans le symbolique. Le rituel du retour révèle une fois de plus son importance pour la nation haïtienne. Cette tranche d’histoire non relatée dans l’histoire officielle du pays a été codifiée dans la mémoire des captifs déportés en Amérique depuis la période coloniale, transmise de génération en génération pour rester vivante jusqu’à aujourd’hui parmi les descendants à travers ce rituel religieux.

Description de la pratique culturelle


Chemin du retour: c'est le retour symbolique où les participants font le tour de l'arbre en sens inverse du sens horaire © Collection privée avec permission de Norluck Dorange

Le lundi au lendemain du dimanche de pâques très tôt dans la matinée le défilé des adeptes part du temple central vers le mapou situé au fond de la concession. Le trajet vers le mapou est le voyage symbolique vers l’Afrique. On chante en créole et en fon (la langue parlée par les Dahoméens) :‘’Komi Komi Kida, Mikode Zanholi e’’. ‘’Nous demandons, nous recherchons la route de Zanholi’’, (Traduction de Norluck Dorange). Zanholi est le nom d’un quartier à Ouidah où furent parqués les Africains destinés à devenir des esclaves en Amérique.

Contrairement aux vœux des trafiquants de l’époque qui voulaient que les âmes de ces africains ne retournent uniquement après leur mort autour de cet arbre, à Souvenance les descendants des dahoméens en Haïti effectuent le retour mystique vivant en dansant et en chantant. La traversée symbolique est placée sous l’autorité de Maitre Agwe la divinité des mers dans le vodou haïtien. Sous le calebassier couplé au tamarinier situé à mi-distance entre le oufò de Souvenance et le Mapou, le serviteur s’agenouille et fait sa prière :

‘’O, Maitre Agwe, nous allons naviguer sur les mers, accompagne nous. Que notre trajet arrive au bon port au cours de la journée. Eloigne la jalousie parmi les marins et mes assistants pendant notre voyage sur les mers, éloigne de nous les mauvais vents et les récifs. Tout le reste dépend de ta puissance, O Maitre Agwe.’’

Le tam-tam roule. On chante, on danse et les ousi entrent en transe d’Agwe.

À Souvenance, le nom mystique de l’arbre est ‘’Papa Lisa’’. Lisa est le coté masculin du Dieu suprême Mawu Lisa dans le vodou dahoméen. L’arrivée sous les feuillages de ce mapou est l’arrivée symbolique en Afrique qui est célébrée au son du tambour. On souffle le lambi, symbole de rassemblement et de liberté en Haïti. Et ils chantent : ‘’O Miwa e, Ousi yo mande woumble’’. ‘’Venez, rassemblons nous, tous les adeptes du vodou’’. Les lwa chevauchent les adeptes initiés un à un. Hommes ou femmes en transe viennent se frotter le front contre les racines du Mapou. Puis ils font sept fois le tour du Mapou géant symbolisant la démarche à l’envers que les africains avaient été forcés d’observer sous l’arbre de l’oubli. Salutations aux divinités dahoméennes, la communion est distribuée, des animaux sont sacrifiés. Les chants et les danses en l’honneur des divinités vodou se succèdent pendant toute la journée consacrée à la vie sur la terre d’Afrique.


Apprentissage et transmission


Les participants faisant le chemin du retour en tenant le drapeau du Bénin © Collection privée avec permission de Norluck Dorange

Dès leur plus jeune âge, les filles et les fils des héritiers de Souvenance participent à coté de leurs parents aux activités et de fait n’auront aucun problème à remplacer les ainés au moment opportun. L’apprentissage se fait par simple reproduction des gestes. Aussi, pour les adeptes du vodou les lwa ont la faculté de désigner l’héritier authentique d’une pratique et dans ce cas cette personne développerait des habiletés comme par enchantement.

Historique général

En Haïti quand quelqu’un laisse son pays ou son village pour aller s’établir ailleurs sans donner de ses nouvelles à ses proches on dit de lui qu’il est passé sous l’arbre de l’oubli ‘’li te pase anba pye sabliye’’. Cette boutade semble remontée à la période de la déportation massive des captifs africains en Amérique dans le cadre de traitre négrière coloniale. En effet, les captifs étaient forcés de tourner autour d’un arbre appelé communément ‘’l’arbre de l’oubli’’ avant d’être embarqués pour l’Amérique. Sous cet arbre planté par un des rois d’Abomey (Agadja) au cours des années 1730, les Africains étaient forcés de faire 7 fois le tour pour les femmes et 9 fois pour les hommes, à la recherche d’un envoutement qui devait avoir la vertu de rendre le déporté amnésique. Il devait oublier son passé, son origine et son identité culturelle.

Cet arbre a existé à Ouidah, ville portuaire du Dahomey (ancien non du Bénin) port d’embarquement de million d’Africains vers l’Amérique dans le cadre de la traite négrière coloniale. Le Nyambiliko, l’arbre sous lequel tournaient les Africains avant leur embarquement, est conservé comme patrimoine historique, portant le nom générique d’Arbre du retour.

À Souvenance les descendants des africains font chaque année le rituel du retour qui est en quelque sorte une reprise en sens inverse du rituel qui a été institué en Afrique. Cette pratique remonterait à la période de l’abolition de l’esclavage en Haïti en 1791.


Localisation complémentaire

  • Ville : Gonaïves
  • Lieu-dit : Pont-Tamarin, Souvenance

Documentation

Dorange, Norluck. ‘’Souvenance : entre le souvenir et la mémoire’’, Haïti en marche, vol. XXII, no. 10, 2 au 8 avril 2008.

Dorange, Norluck. The oblivion tree, film-documentary, The oblivion tree project, Orlando, 2009

Sources

  • Nom du facilitateur ou des facilitateurs : Joseph Ronald Dautruche
  • Date d'entrevue : 2010-04-04
  • Nom de l'indexeur ou des indexeurs : Joseph Ronald Dautruche

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Photos

  • Chemin du retour: c'est le retour symbolique où les participants font le tour de l'arbre en sens inverse du sens horaire © Collection privée avec permission de Norluck Dorange
  • Les participants faisant le chemin du retour en tenant le drapeau du Bénin © Collection privée avec permission de Norluck Dorange

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