Production de la cassave

Moise Scaïdo Petit-Frère

Producteur de cassave à l’Atelier ROPL (Rassemblement des organisations paysannes de Limonade/Cassaverie et Amidonnerie).

Pratique culturelle

Intérêt patrimonial

Limonade est un haut lieu de la production de cassave car c’est l’un des endroits où se transmet et se perpétue cette pratique. C’est une région où cette tradition est mise en valeur. Les familles et les ateliers la valorisent. Cette pratique est un marqueur identitaire de ladite communauté.

Les ateliers de cassave, les marchés publics, les fêtes patronales et champêtres, les supermarchés, les foires gastronomiques sont des occasions et des espaces de mise en valeur par excellence de ce patrimoine alimentaire. La fête patronale de Sainte Anne, organisée annuellement les 25 et 26 juillet, est un évènement festif majeur pendant lequel les familles et les ateliers à Limonade gagnent beaucoup plus d’argent en vendant de la cassave. Ordinairement,  l’atelier de ROPL produit en moyenne 100 cassaves par jour tandis que lors de cette occasion festive, il produit en moyenne 150 cassaves par jour. Les familles et les ateliers augmentent leurs chiffres d’affaires pendant ces festivités. Au final, la pratique de la cassave a de grandes retombées économiques pour les populations de la région.

 

Description de la pratique culturelle


Moise Scaido Petit-Frère accordant un entretien sur les modes de préparation de la cassave © IPIMH 2013

Le manioc est à la base de la préparation de la cassave. Une fois récolté, il est lavé, gratté et  râpé. Ensuite, on le fait presser dans un récipient afin d’en tirer le maximum de suc et d’eau possible et on y met du sel. On le fait sécher, on le tamise. Puis, la farine de manioc qui en résulte est répandue sur la platine chauffée. Après quelques minutes, on obtient de la cassave.

Pour la préparation de la cassave, on utilise les ingrédients suivants : sel, piment, noix de coco, du sucre, cannelle, arachide, anis (anetwale), jijiri, noix, gingembre, lait, chocolat en poudre. La production de la cassave est annuelle et non saisonnière. A ce titre, il est important de souligner qu’on prépare à l’atelier de ROPL, à Bois de Lance, deux grands types de cassave : cassave salée (cassave-sel) et cassave sucrée (cassave-douce).

De l’avis de Moise Scaïdo Petit-Frère, les ingrédients qui entrent dans la fabrication de la cassave-sel sont : la farine de manioc puis le sel. Cette composition peut se faire avec ou sans piment. En général, la vente de ce type de cassave est beaucoup plus destinée aux marchés publics. Tandis que la cassave douce a comme composantes : sucre, noix de coco, jijiri (graines de la plante éponyme), arachide (pistache), gingembre, lait, chocolat en poudre. L’ajout de ces nouveaux ingrédients contribue à l’enrichissement et la diversification du goût lié à la cassave.

Les instruments servant à préparer la cassave sont : « palet », balai, pelle, mortier, assiette, cuves, bassins, tamis (je bichèt) et sachets en plastique.

Le palet est un instrument fait en bois en forme de machette. Il sert à tracer en carreaux la cassave, on s’en sert également pour dimensionner la bordure et la taille de la cassave. Puis, il sert à la remuer, la tourner. Le petit balai est un instrument à l’instar d’une époussette. Il sert à épousseter les grains de farine épars sur la platine ainsi que la cassave elle-même.

Le mortier sert à triturer le gingembre qui est un ingrédient utilisé dans la préparation de la cassave. Ensuite, on utilise l’assiette en vue d’agencer, d’aplatir ou d’aplanir la farine de manioc étalée sur la platine que l’on fait chauffer au four. On se sert aussi d’une pelle afin de prendre du charbon de bois en vue d’alimenter le four artisanal fait en maçonnerie pour faire cuire la cassave.

Les bassins sont de grands récipients à l’intérieur desquels on lave et presse le manioc. En général, l’utilisation de ceux-ci se font dans des cassaveries, et non dans les familles, comme c’est le cas de l’atelier de ROPL à Bois de Lance, habitation Gede . Tandis que les cuves sont des récipients dans lesquels on râpe le manioc ainsi que la noix de coco. Le  je bichet est un tamis, une sorte de passoire servant à faire le tri de la farine de manioc brute. On conserve la farine tamisée dans une grande boîte ou grands coffres en bois. On utilise de grands sachets en plastique aux fins de déposer et couvrir les cassaves qui,  fraîchement issues des fours, vont être exposées sur des rayons d’étagères.

Utilisé particulièrement dans certaines cassaveries à Limonade, comme c’est le cas de l’atelier ROPL à Bois de Lance, habitation Gede, le four artisanal à charbon est une nouvelle technique énergétique de cuisson de la cassave. Son introduction dans la pratique de la cassave est très récente puisque cela remonte au début de la première décennie du XXIe siècle. Il s’agit d’une innovation, d’un changement dans la pratique de la cassave.

Ce nouvel ajout dans le mode de cuisson de la cassave, nous dit l’informateur, s’explique en raison du respect et de la garantie des conditions et normes d’hygiène et de santé. Outre cela, cette technique est beaucoup plus pratique en termes de durée. Car, elle permet aux producteurs de cassave d'augmenter leur production beaucoup plus rapidement que la technique traditionnelle. L’intégration du lait, du chocolat en poudre dans la recette et l'utilisation du four artisanal à charbon sont des indices qui montrent que la pratique de la cassave à Limonade est en perpétuelle mutation. Dans ce contexte, la pratique de la cassave s’inscrit dans la catégorie du patrimoine en mouvement.

À noter que l’ancienne technique énergétique se faisait à ras de sol. Elle consistait en l’aménagement triangulaire de trois grandes pierres entre lesquelles on mettait des fagots de bois qui, par la suite, se réduisaient ou se transformaient en charbon. L’ancienne technique, selon l’informateur, ne permettait pas de respecter les normes hygiéniques. La cassave se faisait cuire à même le sol, puis la fumée émanant du bois était en contact direct avec la cassave, a-t-il fait remarquer. Ce qui lui donnait quelquefois une saveur et une odeur âcre. Toutefois, dans les familles, l’ancienne technique énergétique est encore en usage. 

 


Apprentissage et transmission


Un artisan agençant la cassave avec une assiette selon la forme de la platine chauffée © IPIMH 2013

Moise Scaïdo Petit-Frère a appris les techniques agricoles liées à la culture du manioc par le biais de son père en 1986. Il avait 16 ans et était encore à l’école classique quand il a acquis les premiers rudiments de connaissances en rapport avec la pratique de la cassave en milieu familial. A cette époque, il était souvent en compagnie de son père qui, lui-même, s’exerçait dans ladite pratique. Quelques années plus tard, Moise devient apprenti de l’un de ses cousins travaillant en atelier. A l’âge de 20 ans, il s’autonomise ; et depuis, devient un « Boucher » professionnel de la cassave, comme on le surnomme à Bois de Lance car les artisans qui y font de la cassave portent ce nom vernaculaire. Dans ce contexte, ce mot n’a rien à voir avec quelqu’un qui fait le commerce de la viande.

Âgé de 43 ans, Moïse Petit-Frère a 27 ans dans l’exercice de la production de la cassave. Il forme des jeunes et apprentis dans le domaine par l’observation et l’expérimentation (la parole et le geste). Le mode d’apprentissage est informel et la transmission est directe. Elle se perpétue de père en fils.

 

Historique général


L'exposition de cassaves destinées à la vente © IPIMH 2013

Fabriquée à partir du manioc, la cassave est une pratique remontant à l’époque précolombienne, donc elle est d’origine taïno. D’ailleurs, les vocables francisés tels que manioc et cassave proviennent étymologiquement et philologiquement du marcorix qui était l’une des langues indiennes tainos. Tout bien considérée, cette pratique se perpétue jusqu'à nos jours par les Haïtiens, notamment par les populations de la région nord du pays.


Localisation complémentaire

  • Lieu-dit : Gede

Documentation

Saintène, James. « L’Apport de la Culture indienne taino à la Culture haïtienne dans les domaines de l’alimentation, l’histoire, la religion vodou, la langue », Mémoire de Licence, Université d’Etat d’Haïti, Port-au-Prince, 2006.

Saintène, James. « Etude anthroposociologique des pratiques et comportements alimentaires et identité de l’Artibonite : le cas de la Commune de l’Estère », Mémoire de maitrise, Université d’Etat d’Haïti, Port-au-Prince, 2011.

 

Sources

  • Nom du facilitateur ou des facilitateurs : James Saintène, Melcky Alcénat et Wilguens Régis.
  • Date d'entrevue : 2013-05-28
  • Nom de l'indexeur ou des indexeurs : James Saintène, Melcky Alcénat et Wilguens Régis

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Photos

  • Moise Scaido Petit-Frère accordant un entretien sur les modes de préparation de la cassave © IPIMH 2013
  • Un artisan agençant la cassave avec une assiette selon la forme de la platine chauffée © IPIMH 2013
  • L'exposition de cassaves destinées à la vente © IPIMH 2013
  • Cassave préparée et prête à être mise sur étagère © IPIMH 2013
  • Vue de l'atelier © IPIMH 2013

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