Le Rara de Léogâne

Saint-Louis Perpilus habite à Bossan, Léogâne. Il est l’un des héritiers et dirigeants de la bande de rara dénommée Tirailleurs. Il est enseignant de profession.

Pratique culturelle

Intérêt patrimonial

Le rara est une des grandes fêtes culturelles du peuple haïtien qui se transmet depuis plusieurs générations et qui attire chaque année des milliers de participants, tant d’Haïti que de la diaspora. En raison de sa richesse historique et culturelle, héritée de l’apport des Amérindiens, des Espagnols, des Français et de plusieurs ethnies africaines, le rara est un élément patrimonial exceptionnel d’Haïti. Il a lieu dans plusieurs endroits du pays et Léogâne est la zone la plus renommée. Il est devenu un puissant symbole identitaire des habitants de la plaine de Léogâne où on compte plus d’une trentaine de bandes de rara qui drainent environ 2000 personnes chacune au moment des festivités des trois derniers jours de la Semaine sainte. 

Description de la pratique culturelle


Major-jonc dans le Rara de Léogâne © Pierre Turgeon 2011

Utilisé à la fois comme nom et comme adjectif, le terme « rara » désigne plusieurs éléments. Il signifie « vacarme » dans l’expression « pa vin fè rara la a » (Éviter de faire du vacarme dans cet espace), sens proche de son origine africaine. Il indique un type de son ou un rythme musical particulier. Dans son acception la plus populaire, le terme « rara » fait référence à des fêtes traditionnelles haïtiennes commençant le lendemain du mercredi des Cendres et finissant le lundi de Pâques, soit durant la période du carême chrétien. Les manifestations sont animées par les bandes de rara, généralement dans la rue, et rassemblent une immense foule dansant et chantant au rythme du tambour, l’instrument central de la musique rara.

De son site ou lakou (espace comprenant plusieurs unités de logement, souvent un lieu de culte vodou), une bande se déplace avec quelques dizaines de personnes et augmente en cours de route pour atteindre jusqu’à 2000 personnes. Elle est menée par un chef nommé « colonel ». Cependant, il en existe certaines qui ne s’organisent pas autour d’un lieu de culte vodou et qui ne sont pas menées par un colonel. La gestion d’une bande de rara relève d’un comité exécutif. Outre le tambour, les autres instruments utilisés sont le tchatcha, la trompette, le trombone, l’hélicon, la contrebasse à vent et le vaksin (instrument de musique très long, en tige de bambou de taille variable, il est à la fois soufflé et frappé et le son se répercute en écho).

Le premier jour de la période rara est consacré en grande partie à une cérémonie vodou et les bandes déambulent sur leur site traditionnel, leur lakou. Les rituels consistent, d’après Saint-Louis Perpilus, « à rendre hommage aux esprits protecteurs et aux membres décédés de la bande ». Suivant la tradition, poursuit-il, « les membres doivent amasser la force spirituelle nécessaire en vue de mener de grands parcours à des heures indues de la nuit », réservées selon la croyance populaire à ceux qui pratiquent des activités mystiques. Avant chaque sortie, les mêmes rituels sont répétés, avec une intensité moindre, afin de contrer les mauvais sorts jetés par les bandes rivales. Durant toute la saison du rara, les bandes organisent tour à tour des soirées de galas et effectuent une sortie ordinaire, surtout en fin de semaine, sous forme de visite entre amis. Selon Saint-Louis Perpilus, « la bande Tirailleurs, par exemple, peut recevoir au cours d’une soirée la visite de vingt bandes environ, entraînant quelque vingt mille personnes.»

Du Vendredi saint au dimanche de Pâques, la Mairie et l’Union des Rara de Léogâne (URAL) organisent un festival de rara. Financé par le ministère de la Culture et par des entreprises commerciales, ce festival se concentre dans le centre-ville de Léogâne où toutes les bandes offrent leur prestation. Les dirigeants et les sympathisants des différentes bandes se mobilisent plusieurs mois à l’avance pour préparer banderoles, costumes, musiques et soirées de galas. Des stands d’entreprises commerciales sur lesquels sont installés des DJ longent le parcours du défilé sur l’artère principale de la ville de Léogâne, la Grand rue.

Les bandes rivalisent par des spectacles de musique, de chants, de danses traditionnelles et de vêtements très colorés. La musique de toutes les bandes se mêle pour créer une vive concurrence. Les « Major-jonc » sont au cœur de la fête. Issus des milieux ruraux de Léogâne et d’autres villes du pays, notamment de l’île de la Gonâve, ils excellent à faire tenir le jonc en équilibre entre deux doigts en le faisant tourner à grande vitesse tout en dansant (le jonc est une canne en fer blanc d’environ un mètre avec un renflement de forme conique aux deux extrémités). Ils se distinguent aussi par leur accoutrement : casquette, tunique aux couleurs très vives avec paillettes scintillantes à la poitrine, assortie de franges ou foulards rouges, verts ou jaunes, ils ont parfois le visage maquillé et portent des lunettes fumées.

La fin de la saison de rara est vécue à Léogâne, du moins pour les sympathisants, presqu’aussi intensément que la mort prématurée d’un être cher.


Apprentissage et transmission


Rituel vodou avant la sortie d'une bande de rara © IPIMH 2008

La majorité des bandes de rara de Léogâne sont fondées par un ougan ou par un pratiquant du vodou et les musiciens des rituels vodou sont les premiers à jouer dans les bandes de rara. La musique étant un élément fondamental des rituels vodou, les bandes de rara n’ont aucun problème pour trouver des musiciens. Par ailleurs, nombre de Léoganais commencent dès leur jeune âge l’apprentissage de la musique, car un contrat pour une saison rara est très rémunérateur. Ainsi, la commune de Léogâne fournit à presque toutes les régions du pays des musiciens, principalement pour les rara. Selon le témoignage de nombreux dirigeants, les bandes se forment à la demande d’un lwa (divinité du vodou) et ont pour obligation d’organiser leur sortie chaque année. Cet engagement se transmet à travers les générations. Le thème des festivités de rara en 2011 témoigne de l’importance que les habitants de Léogâne accordent à la pérennisation de cette tradition comme moyen de revitalisation de la communauté : « Ak rara Léogâne lavi ka fleri » «Avec les rara de Léogâne, la vie peut fleurir».

Historique général


La bande de rara Tirailleurs © IPIMH 2008

L’origine du rara est plurielle et semble porter les traces de tous les groupes humains qui se sont rencontrés en Haïti depuis le XVe siècle: amérindiens, européens et africains. Plusieurs hypothèses ont été proposées. Pour certains, le rara est associé à l’équinoxe du printemps célébré par les Indiens. La pratique des Jongleurs haïtiens est similaire à celle des descendants actuels des Indiens mayas au Guatemala et en Equateur qui honorent ainsi la nature. Selon la tradition orale, le rara s’est développé principalement à Léogâne et dans l’Artibonite car la reine Anacaona résidait dans cette région et se déplaçait souvent avec sa garde d’honneur vers l’Artibonite pour visiter son époux Caonabo, cacique du royaume du Maguana. Ses déplacements se faisaient au son de la musique, d’où le développement de cette tradition dans cet espace. Le rara puise aussi ses racines dans la culture européenne, notamment dans la fête espagnole La Cruz ou fête de « la croix » qui dure toute la Semaine sainte jusqu’au matin du dimanche de Pâques. En France, le rara serait lié au symbole du printemps à l’époque de la féodalité. Pour d’autres, le rara serait issu des tribus africaines Congo et Yoruba (actuel Nigéria). Dans l’une de leurs langues, le mot « rara » signifie « bruyamment, hautement ».

Depuis la période coloniale, et jusqu’aux années 1990, à l’instar de plusieurs traditions culturelles du pays, le rara et le vodou ont tissé des liens serrés. Les déplacements des bandes avaient surtout lieu la nuit et se déroulaient dans les sites vodou et leur périphérie. L’activité d’une bande de rara était comparable à celle d’une petite armée appelée à défendre un territoire. La dénomination de plusieurs bandes à Léogâne en témoigne : «Chien méchant», «Renommée», «Taureau lakou», «Tirailleurs», ce dernier étant le nom d’une ancienne unité d’élite de l’armée d’Haïti. L’effectif d’une bande de rara ne dépassait pas une cinquantaine de personnes, souvent des adeptes du vodou. Les musiciens jouaient de petits instruments traditionnels : coquille de lambi, vaksin, râpe en fer blanc, tige de fer et tambour.

Avec l’organisation du festival de rara à partir de 1992 et l’arrivée de nouveaux dirigeants scolarisés et/ou issus de la diaspora, le rara s’est transformé totalement. Il est devenu, lors des fêtes de Pâques, le rendez-vous de plusieurs milliers d’Haïtiens.


Localisation complémentaire

  • Ville : Léogâne

Documentation

Alexis, Gerson. « Les danses Rara », Bulletin du Bureau d’ethnologie, série III, Port-au-Prince, mars 1959.

Coulander, Harold. Haiti Singing, Chapel Hill, The University of North Carolina Press, 1939.

Dautruche, Joseph Ronald. Rara et vodou dans la plaine de Léogâne : les transformations d’un rituel, Mémoire de maîtrise, Port-au-Prince, Université d’Etat d’Haïti, 2008.

McAlister, Elizabeth. Rara ! Vodou, Power and Performance in Haiti and its Diaspora, Berkeley, University of California Press, 2002.

Paul, Emmanuel C. Panorama du folklore haïtien, Port-au-Prince, Imprimerie de l’Etat, 1962.

Sources

  • Nom du facilitateur ou des facilitateurs : Joseph Ronald Dautruche
  • Date d'entrevue : 2008-03-21
  • Nom de l'indexeur ou des indexeurs : Joseph Ronald Dautruche

Sons

Photos

  • Major-jonc dans le Rara de Léogâne © Pierre Turgeon 2011
  • Rituel vodou avant la sortie d'une bande de rara © IPIMH 2008
  • La bande de rara Tirailleurs © IPIMH 2008

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